L’univers inoui des ambigrammes, symétrie graphique et reflets de mots

Quel est le lien entre jour et nuit, et DIEU et RIEN, anges & démons ? À part leur sens à priori opposé, ce sont aussi des ambigrammes : des mots qui se lisent par symétrie. Restez là, on vous explique tout.

Des mots à plusieurs formes et sens

Les ambigrammes sont des jeux de mots visuels dont l’écriture des lettres leur permet d’être lus à travers un ou plusieurs axes de symétrie. Soit le mot est un ambigramme tel quel, comme les mots CODE (symétrie horizontale) ou inoui (axe rotationnel), que l’on pourrait appeler des ambigrammes “naturels”, soit, et c’est ce qui nous intéresse le plus, il est créé de toutes pièces grâce au talent d’un.e calligraphe qui joue avec les lettres, en tant que symboles du langage écrit. Un ambigramme, contrairement à un symbole à symétrie répétitive (comme le yin et le yang ou la swastika), est formé avec des lettres et non des traits.

Le terme ambigramme vient du préfixe latin ambi (les deux) et du suffixe grec gramme (écrit). Cette double écriture peut en réalité être triple ou plus selon les talents graphiques de l’artiste ; on peut la lire par symétrie horizontale, verticale ou par rotation, offrant ainsi une expérience de lecture originale et ambigüe en fonction de la perspective.

Certains ambigrammes veulent dire la même chose lorsqu’ils sont retournés ou inversés (on les appelle homogrammes) comme “inoui”, “nu” ou “SOS” (qui est d’ailleurs aussi un ambigramme en morse … – – – …), tandis que d’autres changent de sens et se transforment en un nouveau mot (les hétérogrammes). À Paris, les voyageurs de la gare du Nord peuvent par exemple lire “entrée” ou “sortie” selon leur sens de circulation, grâce à l’hétérogramme réalisé par l’artiste Patrice Hamel en une seule inscription. Les lettres, habilement manipulées, offrent ainsi deux sens de lecture à partir d’un seul mot : ici, le o devient é, le s un e, le nt un ti

Pour en rajouter une couche, tenez-vous bien, les homogrammes peuvent aussi être des palindromes (on les confond souvent), c’est à dire qu’ils sont symétriques et lisibles de gauche à droite et de droite à gauche, en gardant leur signification. D’autres ambigrammes sont parfois aussi lisibles dans un miroir (on appelle ça une écriture spéculaire).

Les variations de symétrie permettent aux calligraphes, graphistes et artistes de jouer avec les formes et les sens des mots, créant ainsi des œuvres visuellement intrigantes.

Comment créer des ambigrammes

L’intérêt de la création d’un ambigramme vient en effet du défi graphique qu’il offre. Pour en créer, il faut tenir non seulement compte de la symétrie, mais aussi de la forme des lettres et de la lisibilité du mot dans ses différentes orientations. Il est possible de les construire avec des lettres symétriques, en se basant uniquement sur les options offertes par les majuscules ou minuscules, ou de jouer aussi avec les variations proposées par les familles typographiques.

Le plus long ambigramme connu, “suissesse”, devient “assassins” avec un bon choix de typo (ici, la Co Headline) dans laquelle le e et le a se ressemblent, et après avoir enlevé les points sur les i :

Les personnes qui créent des ambigrammes préfèrent le plus souvent la souplesse de la calligraphie, qui permet une création de formes libres. Les ambigrammes permettent ainsi de jouer avec les formes, les couleurs et les textures, et offrent une nouvelle dimension à l’écriture, qui peut se lire ainsi en “mouvement”, dans un sens ou dans un autre. Les ambigrammes peuvent ainsi être utilisés pour transmettre des messages cachés ou pour créer des illusions d’optique.

On trouve des ambigrammes dans différentes langues et cultures, et notamment dans la calligraphie arabe, comme celle-ci datant de 1720.

Jeux de mots pour graphistes

Sur sa page YouTube “The Ambigram Artist“, Mark Palmer partage par exemple ses calligraphies spécialisée dans cet art, dans lesquelles il mêle habilement deux mots ou des prénoms pour n’en créer qu’un. On lui doit les ambigrammes family/forever, Disney/Magic et The Batman/Vengeance. Les ligatures et les ornements permettent de faire ressortir certaines lettres et de favoriser un sens de lecture. Si les dessins sont correctement réalisés, et c’est là toute la difficulté, notre cerveau décrypte les graphèmes et s’occupe ensuite de leur donner un sens.

En France, le graphiste Joël Guenoun, à qui l’on doit le logo du tour de France et du musée Grévin, s’amuse à inventer des mots ambigrammes en double sens, comme DIEU/RIEN, en miroir, europe/storm, par rotation, ou jour/nuit, par inversion.

John Langdon est un autre exemple d’un graphiste qui joue régulièrement avec les lettres et les mots pour en faire des symboles symétriques. Il a dessiné entre autres l’illustration calligraphique de la couverture du livre Angels & Demons de Dan Brown, ainsi que les ambigrammes illuminati et le “carreau illuminati” constitué des 4 éléments : earth, air, fire, water, réalisés pour les versions TV.

Les ambigrammes dans l’art

Parce qu’ils permettent de jouer avec les lettres, on retrouve aussi des ambigrammes dans l’art. Des artistes comme Markus RaetzMia Florentine Weiss (love – hate), s’amusent à jouer avec les caractères en volume pour en créer d’autres. Raetz, plasticien, distord les lettres dans l’espace ou joue avec les reflets pour faire apparaître un “oui” dans un “non”, un “nous” dans un “moi” ou “cela” par reflet de “ceci”.

Les logos ambigrammes

C’est sûrement pour tous ces mystères que Christopher Nolan a choisit de s’inspirer du carré sator dans son film Tenet, en y intégrant entre autre un personnage, Sator, et une scène à l’Opéra. Il aurait à l’origine composé un logo ambigramme pour Tenet en inversant le N, le E et T pour suggérer le renversement et la bascule du temps, mais une marque de vélo du même nom existant au préalable aurait poussé Nolan à modifier sa composition, à l’amiable. Sympa. Certaines affiches du teaser sont néanmoins encore en ligne, avec l’ancien logo Tenet.

Les logos ambigrammes ont la spécificité de permettre de créer un symbole qui soit à la fois un texte et un dessin. Si le texte apporte un sens premier, une lecture basique, la symétrie et l’agencement spécifique vient en ajouter un second, plus abstrait, transformant les lettres en un symbole. Si la lettre est un signe graphique plus ou moins standardisé et reconnaissable qui représente un son, dès lors qu’on la modifie pour en faire autre chose, un dessin, elle devient alors, associée à d’autres, un idéogramme, une espèce de sceau.

En latin les mots “sceau”, “symbole” ou “signature” se disent de la même manière : charactere, c’est à dire un idéogramme difficile voire impossible à lire à l’oral mais qui est compris et utilisé pour communiquer, et qui contient, confère ou véhicule un pouvoir. Le logo, en tant que symbole vecteur de l’image de marque, possède lui aussi un certain prestige.

Les logos ambigrammes par rotation et symétrie

Ici, ces logos ambigrammes sont lisibles par rotation d’une ou de toutes les lettres, et aussi par symétrie. Les lettres deviennent des symboles qui en créent d’autres, en s’associant ou en les tournant, comme dans les logos motor nike expo ou sun. Dans le logo New Man (Raymond Loewy, 1968) le w devient un m, et le a un e, permettant une lecture même après rotation du logoLe y se transforme quant à lui en R (et en personnage avec les bras levés) dans le logo Yoga Room.

Les logos ambigrammes par rotation

Les deux logos en ambigrammes “naturels” ci-dessus proposent une double lecture par axe de rotation autour de la lettre centrales ou n. Sans avoir besoin de jeu typographique, les lettres sont lisibles dans les deux sens. Sonos est d’ailleurs aussi un palindrome.

Ceux-ci possèdent un axe de symétrie par rotation, avec une spécificité typographique qui vient faciliter la lecture ou le mouvement. Par exemple, le mot et donc le logo inoui est un ambigramme “naturel”, on l’a vu. En ajoutant un point en bas du premier i, on incite le lecteur à tourner la tête et donc à imaginer un mouvement d’aller et retour, qui rappelle ici évidemment ceux des trains. Dans le logo Dune, qui n’utilise qu’une seule forme archée pour composer le mot entier, il a fallu rajouter une planète brillante dans le e pour créer la barre et éviter que l’on lise “dunc”. Le r de parad possède une double barre qui vient favoriser la double lecture, entraînée par la symétrie p/d et aussi (peut-être) créer un visage.

Les logos ambigrammes et palindromiques, avec une symétrie verticale

Ces logos ambigrammes et palindromiques (excepté Chanel) possèdent une symétrie verticale dans laquelle les lettres sont parfois modifiées pour respecter la symétrie, comme les ∃, ᗺ et L inversés de NEX∃N, AᗺBA et LAVAL (si quelqu’un.e sait faire un L inversé, merci de le partager en commentaire !), ou le double C de Chanel, créant par la même occasion des formes nouvelles. On peut imaginer des ailes de papillon dans les deux ᗺB ou voir deux maisons entre les E et le X de nexen… sans forcément que cela ait ici un sens particulier, même si cela peut être une valeur ajoutée dans le cadre la création d’un logo. Ce qui est intéressant, c’est surtout que le cerveau retient mieux l’aspérité car le rendu diffère de l’orthographe classique. Un peu comme pour les logos Carrefour ou Fedex.

Par un jeu de ligatures, le N et le E de NEXEN se lient pour être aussi lisible par rotation, offrant deux sens de lecture (la marque de pneu gagne ici à avoir un logo qui peut se lire en boucle). UHU est quant à lui un ambigramme “naturel”, du fait de ses lettres symétriques. Le A du Musée d’Art Moderne de Paris perd sa barre et devient visuellement un M inversé, créant une répétition ludique et graphique de formes répétitives.

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